Depuis 2004, une loi règlemente le titre de psychothérapeute. Mais ce cadre juridique a-t-il servi à quelque chose ? Protège-t-il l’usager ? A-t-il permis d’y voir plus clair au sein de la nébuleuse psy ? À ces trois questions, la réponse est non. Trois fois hélas ! Et l’introduction du terme de « psychopraticien » par certaines organisations professionnelles, loin de clarifier la situation, a plutôt produit un facteur de confusion supplémentaire. Faisons le point sur une législation qui n’a rien résolu.
À l’inverse des Américains, les psys français n’ont guère l’habitude d’afficher leurs diplômes sur les murs de leur cabinet. Tous les cliniciens vous le diront : rarissimes sont les patients qui leur demandent quelle est leur formation ou qui les interrogent sur leur méthode de référence. Non pas parce qu’ils sont aveuglément confiants, démunis, idiots ou vulnérables (comme le législateur semble parfois le croire), mais tout simplement parce que s’ils sont là, assis en face d’un inconnu censé les aider, c’est qu’ils ont reçu une chaude recommandation d’un ami, que le premier contact a été satisfaisant et qu’ils « ont un bon feeling », ce qu’on appelle aussi l’intuition.
Une relation thérapeutique démarre généralement avec un a priori favorable. Peu importe aux patients d’où vient leur psy. En général, ils ne savent même pas s’il s’agit d’un psychothérapeute, d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un psychanalyste ou d’un psychopraticien... si tant est que le grand public connaît la différence. Alors, avant d’aller plus loin, précisons rapidement ces catégories. Le psychiatre est un médecin spécialisé. C’est le seul qui est habilité à prescrire des médicaments, la plupart du temps des anxiolytiques ou des antidépresseurs parce que la dysthymie et les dépressions constituent le gros de sa consultation. Le psychologue, lui, a suivi des études de psychologie à l’université à l’issue desquelles il peut rejoindre le département des ressources humaines d’une grosse entreprise, un service médico-social ou un établissement scolaire. Sauf à avoir complété sa formation clinique par ailleurs, il n’a pas été entrainé lors de son cursus universitaire pour accompagner des personnes en souffrance sur le moyen-long terme.
Seul le psychothérapeute en est capable parce que lui seul a suivi une formation spécifique, souvent longue (au moins 5 ans), au sein d’un institut privé payant (preuve s’il en est de sa motivation) et où il a acquis, d’une part le cadre théorique d’un courant psychothérapeutique et d’autre part, un savoir-faire pour accompagner ses patients vers le mieux-être et la santé psychologique. Et le psychanalyste alors, demanderez-vous ? Pour faire simple, et au risque de déplaire à certains, disons que la psychanalyse est une méthode de psychothérapie parmi d’autres, la plus connue bien sûr, et la plus ancienne puisqu’elle remonte au début du XXème siècle tandis que la plupart des autres écoles se sont développées au cours des années 50. Reste le cas du psychopraticien, récemment apparu sur la scène française : nous y reviendrons plus loin parce qu’il nous faut d’abord comprendre le contexte de son émergence.
Un peu d’histoire
Durant des décennies, n’importe qui pouvait accrocher à sa porte une jolie plaque en cuivre qui indiquait fièrement « psychothérapeute » ou « psychanalyste ». Personne n’y trouvait rien à redire, et encore moins la loi qui ignorait magistralement cette profession. Seul le Fisc s’y intéressait, un peu comme pour les prostituées à l’époque, sans statut mais cependant soumises à l’impôt. Tout a changé le 9 août 2004, avec la loi 2004-806 relative à la politique de santé publique, et notamment le fameux article 52. Celui-ci, assez court au demeurant, trouve son origine dans un amendement du député Bernard Accoyer visant à réglementer la profession de psychothérapeute : M. Accoyer, médecin, pensait qu’il serait judicieux de réserver notre belle profession aux psychologues et aux médecins. Autant le dire tout de suite, cette loi a accouché d’une souris.
Cette volonté de médicaliser la psychothérapie n’est pas nouvelle. Cela fait plus d’un siècle que la bataille se poursuit entre les tenants d’une psychothérapie fondée sur un modèle médical (suppression du symptôme) et ceux qui considèrent que la psychothérapie est un processus d’apprentissage de soi et de croissance vers la maturité émotionnelle. On se souvient qu’en son temps, Freud lutta contre la première tendance et ne voulait surtout pas que la psychanalyse soit réservée aux médecins, puis ce fut au tour de Carl Rogers aux Etats-Unis qui n’a eu de cesse de promouvoir l’accès de cette profession à des non médecins et des non psychologues.
Avant 2004, la pratique de la psychothérapie était libre en France, et il existait effectivement une zone de non droit qui laissait la porte ouverte à des possibilités d'abus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle toutes les organisations professionnelles, conscientes des risques de dérives, avaient commencé à réguler la profession, sous l’impulsion de l’AFFOP et de la FF2P en France, et au niveau européen sous l’égide de l’EAP (European Association for Psychotherapy) fondée en 1991. Dans la foulée, l’EAP créa le Certificat Européen de Psychothérapie (CEP) qui définit ce qu’est la psychothérapie et stipule des conditions strictes pour devenir psychothérapeute (pas moins de 1400 heures de formation). Tout le monde pensait à l’époque que la Commission européenne allait un jour harmoniser les législations des États membres et qu’elle s’appuierait pour cela sur les recommandations de l’EAP. Eh bien non, ce ne fut pas le cas : Bruxelles ne s’est jamais ne s’est jamais penché sur le sujet, et les différents pays, pour répondre à l’air du temps, ont créé progressivement leur propre règlementation. Aucune de ces lois ne se ressemble : Autriche, Allemagne, Italie, GB, Espagne, Belgique, France... Un vrai kaléidoscope. Et dans cet élan régulateur, personne n’a semblé se soucier d’une quelconque harmonisation des titres et des diplômes permettant la libre circulation des professionnels de la psychothérapie au sein de l’Union européenne.
En France, l’amendement Accoyer a bien sûr rencontré une vive opposition de la part des psychothérapeutes et des psychanalystes. Mais malgré tous les efforts de nos fédérations professionnelles, l’amendement a fini par être voté. Dans l’attente du décret d’application, les discussions avec le gouvernement se sont poursuivies pour essayer d’influer une dernière fois sur les textes réglementaires ; mais peine perdue. Le décret a finalement été publié en 2010, soit six ans après la loi ! Preuve s’il en est de l’embarras du Ministère de la Santé qui ne savait pas très bien comment s'y prendre pour appliquer une loi aussi creuse qu’inutile.
Que dit la loi ?
Ou plutôt ce qu’elle ne dit pas ! Car cette loi pèche surtout par ses carences. Elle ne dit absolument rien sur la psychothérapie, n’en donne aucune définition et ne précise ni son champ ni sa pratique. Elle se contente de protéger le titre de psychothérapeute en le réservant à trois catégories de personnes : les psychologues (qui n’en ont que faire puisqu’ils ont déjà leur titre universitaire), les médecins (pourquoi eux ?) et les psychanalystes (sous certaines conditions de connaissances en psychopathologie et après un long stage pratique).
Autrement dit, et pour formuler les choses comme elles sont, la psychothérapie en tant que profession indépendante et spécifique n’existe toujours pas. Par voie de conséquence, les professionnels, formés à ce métier au sein d’instituts spécifiques, n’ont pas accès à la dénomination de « psychothérapeute », du moins s’ils ne sont pas psychologues ni médecins. Ubu n’aurait pas mieux fait !
Mais c’était sans compter l’ingéniosité de l’esprit humain qui s’est immédiatement engouffré dans le vide laissé par la loi. De grands débats se sont engagés pour trouver une nouvelle casquette à ces professionnels de la santé mentale désormais dépourvus de titre. Il y eut de nombreuses propositions, certaines assez amusantes (psychopeute, psyprat, praticien de la psyché, aidant psychologique, etc.), jusqu’à ce que s’impose implicitement le terme de « psychopraticien » qui, à défaut d’un vocable convaincant, a fait l’objet d’un consensus mou au sein de la profession.
Où en est-on aujourd'hui ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que les praticiens de la psychothérapie sont dans une situation inconfortable puisqu’ils ont interdiction de porter le titre d’une activité qu’ils pratiquent pourtant. Comble de l’absurdité, ils se retrouvent dans une situation similaire à celle d’avant 2004, dans une coquille vide qui permet de nouveau à n’importe qui d’apposer sur sa porte une belle plaque en cuivre indiquant cette fois « psychopraticien », « coach de la psyché », « aidant psychologique », "accompagnateur psy" ou n’importe quelle autre appellation. Toutes sont possibles puisque qu’aucune n’est réservée... jusqu’à la prochaine loi ?
Dans ce contexte kafkaïen, les fédérations professionnelles ont longtemps hésité avant de se mettre d’accord sur la stratégie à adopter. Car il y avait de quoi être perdu ! Des décennies d’efforts pour encadrer la profession, supprimer les vilains canards et concevoir des formations sérieuses, et tout cela réduit à néant par un malheureux article auquel personne ne s’attendait ! La loi de 2004 aura eu au moins une conséquence inattendue, celle d’avoir provoqué la restructuration des organisations professionnelles avec des regroupements, de nouvelles alliances et de nouveaux acronymes. En effet, de nombreux professionnels restent favorables au maintien du terme de psychothérapeute et aimeraient bien que se poursuivre les efforts de lobbying auprès des pouvoirs publics pour provoquer une révision de la loi. Mais la FF2P a très vite abandonné cette voie pour privilégier celle de la création d’un nouveau métier, celui de psychopraticien, qu’elle tente de faire reconnaître depuis 2014 par l’organe officiel, le Registre National des Certifications Professionnelles. Sans résultat aujourd'hui (juillet 2017).
Où va-t-on ?
Bien malin qui pourrait le prédire. Il est possible que soit reconnu un jour le métier de psychopraticien. Mais aura-t-on avancé pour autant ? Le changement de nom suffira-t-il pour asseoir la légitimité de notre profession ? Bien sûr que non. Les professionnels se retrouvent exactement comme au XXème siècle, sans cadre juridique, mais par contre avec un peu plus de confusion grâce à deux appellations pour dénommer une seule et même activité ! Et la langue française - ce n'est pas si anecdotique que cela - se retrouvera encore plus isolée pour avoir créé un néologisme qui n’est plus l’équivalent du psychotherapist (anglais), du psychotherapeut (allemand, néerlandais), du psicoterapeuta (italien et espagnol) ou du psykoterapeut (danois) ? Mais sans doute est-ce la fameuse exception française qui veut que l’on devienne des psychopraticiens pratiquant la psychopratique.
Quel que soit le titre adopté, et c'est là le point fondamental, si l’activité elle-même n’est pas définie par la loi, nous resterons dans un immense vide juridique. La seule voie possible est de convaincre le législateur et le gouvernement de reconnaître l’existence de la psychothérapie et par là même ceux qui la pratiquent, c’est-à-dire les psychothérapeutes. Cela est possible, les Autrichiens et les Belges l’ont fait.
Il est bien triste d’imaginer que, sous les coups d’un pouvoir borgne et d’une résignation prématurée, nous renoncions à la lutte pour maintenir dans notre langage ce beau mot d’origine grec, therapeutês, qui signifie exactement ce que l’on fait : « serviteur », « celui qui prend soin de ».
Xavier HAUDIQUET-LAMARQUE - Directeur d'ACP-FRANCE
Son site : www.acpfrance.fr
La fiche de son école : ACP-FRANCE, formation à l'Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers